Mémoire de Madame Chantal Zimmermann
Ce mémoire a été rédigé avec le précieux concours de Philippe Hartmann, facteur d'orgue installé à Rainans 39 à l'époque de la rédaction. Le travail de madame Zimmermann est très riche, avec son autorisation nous le publions comme pièce maîtresse de notre page Documents.
Plan détaillé
1 introduction
2 description : buffet . positif . console
5 soufflerie.sommiers.mécanique
6 historique : 1er
orgue
2e orgue . Saumet
9 chute
du clocher :
orgue hors d'usage
10 3e
orgue : Callinet - la famille
11 l'association
des Frères Callinet
l'orgue
de St Martin à cette époque
12 "autour
du prix"
orgue
classique
13 le
jeu de flûte traversière
14 ressemblance
des ouvrages Callinet
15 restauration
de 1880
17
" de
1911
17 " de
1921...32
à
la suite de l'incendie du clocher
20 Hartmann
: circonstances de "départ"
choix
du facteur
22 état
de l'orgue en 1960
23 la
restauration
25 problème
de la tribune
26 remarques
de Hartmann
28 inconvénients
: hauteur de la tribune
revètements
des murs
chauffage
30 conclusion.
L'orgue
de Baume les Dames, restauré récemment offre un intérêt
certain.
C'est un orgue assez important, 4 claviers et pédalier, en bon état,
construit par une famille de facteurs d'orgue réputée et offrant
actuellement des possibilités originales.
Une étude des documents existant à son sujet, des entretiens ave
le facteur d'orgue Philippe Hartmann responsable de la dernière restauration,
et avec l'organiste Jean-Paul Schiffmann, ainsi qu'une visite de l'instrument,
m'ont permis d'en établir une description succinte et d'en retracer l'historique.
Celui-ci présente à peu près trois parties : l'oeuvre du
facteur Saumet, celle des frères Callinet et la récente restauration
de Phlippe Hartmann.
(Les notes ajoutées en couleur sont des précisions apportées par Philippe Hartmann en date du 23 mai 2002 : relecture du mémoire avant publication.)
Cet
orgue est situé au fond de l'église Saint-Martin, sur la tribune, au dessus
de la porte principale.
Il se présente en deux parties, le buffet ou grand-orgue et le positif.
Le buffet, " meuble " contenant l'orgue, comprend le soubassement
et le corps sonore. Vue depuis la nef, c'est la masse la plus importante, en
retrait par rapport au positif situé lui juste sur le bord de la tribune. Ce
buffet, dans sa partie visible de la nef qui encadre les tuyaux en Montre présente
cinq tourelles, dont une grande au centre, séparées les unes des autres par
des plates-faces. Les lignes sont simples, la décoration très sobre, et l'ensemble
très élégant.
Le positif, corps sonore groupé indépendamment du buffet
est donc situé à même la tribune. Dans ce " positif de dos ", les jeux sont
groupés dans un buffet de moindres dimensions dont la Montre reproduit plus
ou moins les lignes du buffet principal. Les tourelles sont au nombre de trois,
dont une petite, centrale, qui donne la réponse à la grande tourelle du buffet
principal. La sonorité du Positif est plus faible que celle du Grand-Orgue.
Encastrée dans le soubassement du buffet principal, sur la
façade, on trouve la console, dite " en fenêtre ", de par situation. Elle comprend
quatre claviers, un pédalier, des tirasses, des accouplements, des pédales d'expression
et des registres.
Les quatre claviers manuels ont 56 touches chacun, et sont
à touches naturelles blanches. Leur étendue est de do1 à sol5. Ils sont tous
chromatiques.
Le positif, premier clavier (à partir du bas) donne donc
la réplique en plus faible des sonorités du grand-orgue.
Le grand-orgue, deuxième clavier, est celui où les trois
familles de jeux (fonds, mixtures, anches) sont représentées largement et où
se trouvent les anches importantes.(trompette, clairon). Le récit, troisième
clavier ne comporte que des jeux solistes. En réalité, le plan sonore n'a que
37 notes.
Le plan sonore du quatrième clavier ou écho, ne comprend
lui aussi que 41 notes (56 touches). Cet écho est " expressif " (cf. pédales
d'expression).
Les tuyaux de ces différents plans sonores sont respectivement
groupés dans des sortes de " boites ", ce qui assure une meilleure fusion et
projection de la sonorité.
Les tuyaux du positif sont donc à part, séparés, et ceux des
autres plans sonores se répartissent ainsi (schématiquement)
Insérer croquis scanné
récit grand-orgue écho ( récit : au centre et en haut du grand meuble) (grand-orgue : occupant tout le premier étage du grand buffet) (écho : dans le soubassement, juste au dessus des claviers)
Le pédalier, réplique du manuel en dimensions plus grandes
est chromatique. Il comprend 30 notes, ou deux octaves et demi, de do1 à fa3.
Un sixième plan sonore, indépendant, peut être joué sur le
2ème ou le 3ème clavier par accouplement ou au pédalier.
Le plan sonore du pédalier, la pédale, se trouve derrière
le buffet.
Les registres, ou pièces qui commandent la sélection des jeux, sont des registres
mécaniques, situés de part et d'autre des claviers manuels, verticalement. Le
tirage des registres est direct et en chêne. Ces tirants, que l'on actionne
horizontalement, sont au nombre de 56 pour 54 jeux et 2 tremblants. Ils sont
ainsi répartis :
Insérer
croquis
La composition actuelle précise de l'instrument est donnée sur le document 3
( composition).
Des tirasses, pièces de métal placées au dessus du pédalier permettent de " tirer du clavier au pédalier " ; c'est à dire de jouer un jeu du les jeux d'un clavier, au pédalier. Elles sont au nombre de 4.
Egalement juste au dessus du pédalier, à peu près au centre de la console, se trouvent deux pédales d'expression ; une pour le clavier de bombarde, une pour celui de l'écho. Ces pédales, courtes, pouvant basculer sur un axe commandent l'ouverture ou la fermeture de " jalousies " (côté Montre) et permettent ainsi d'obtenir des effets d'éloignement ou de rapprochement de la masse sonore plus ou moins " enfermée ".
Les pédales d'accouplement, ou accouplements, situées aussi
au dessus du pédalier commandent lez accouplements des claviers. Il y en a 5.
L'ensemble de ces claviers et pédales fait parler 3578 tuyaux.
L'air
nécessaire à faire parler ces tuyaux est aspiré et propulsé par un ventilateur
actionné par un moteur électrique. L'air aspiré est conduit dans un gros réservoir
principal, situé près du moteur, ces deux éléments se trouvant dans une pièce
attenante afin d'éviter le bruit du moteur. De là, par un gros porte-vent, l'air
est conduit vers quatre réservoirs secondaires :
- l'un destiné à l'écho et au positif, sous le sommier de l'écho,
- un autre pour le grand-orgue et le récit, situé comme
- le troisième, destiné à la pédale, sous la pédale
- et un dernier, pour la bombarde, situé au dessous de son sommier.
Ces réservoirs, ou soufflets, sont des boîtes à parois horizontales
rigides, dont celle du bas est fixe, et celle du haut mobile. Les parois verticales,
" en accordéon ", sont en peau de mouton.
Pour obtenir les pressions voulues, ces soufflets sont lestés
avec un certain poids.
Les
sommiers, sortes de grandes caisses à 3 étages, recevant le vent et le distribuant
aux tuyaux sont ainsi répartis : 2 au grand-orgue, 2 à la pédale, et autrement
1 par clavier. (pour le sommier voir documents 1, 1') Ils sont en chêne.
Il y a un abrégé par sommier, cette pièce servant d'une certaine
façon à réduire la longueur du sommier à celle du clavier.
La mécanique est à traction suspendue.
Un
orgue existait à l'église Saint-Martin dès le XVIIème siècle. On sait seulement
à son sujet que son réparateur et organiste était, en 1655, un sieur Guenard
et en 1690 Le " Procureur postulant " J.B. Aubry.
En 1715, le rétablissement de l'instrument était décidé et
exécuté. Cette restauration ne devait pas être parfaite, car, en 1746, le facteur
luxovien Claude-François Saumet dut refaire l'instrument à neuf.
Un buffet à " trois tourelles " avait été fait, en 1658,
par le menuisier-sculpteur Etienne Monnot. En 1645 (donc), le rétablissement
de l'orgue était décidé et exécuté (en 1746). Sans doute cette restauration
ne donna-t-elle pas toute satisfaction, ou ne fut-elle suivie d'aucun entretien,
toujours est-il que, le 5 octobre 1750, un traité était passé avec le facteur
Pierre-François Mouspanne, de Charmoille, près de Porrentruy.
Le facteur Saumet, qui était en outre organiste de la paroisse
depuis le 1er août 1747 protesta contre la décision de la fabrique (conseil
de laïcs qui gérait les biens de l'Eglise) de confier à un autre le soins de
refaire " son " instrument, et fit tant, que le 29 octobre 1750 il fut autorisé
à passer contrat. Celui-ci étant accepté, Saumet était prêt à livrer l'instrument
en 1751, et demandait, le 16 août, une avance de deux cents livres " à raison
de la grande dépense qu'il a faite pour la construction de ladite orgue ". La
fabrique décidait de lui régler cette avance sans que cela pût cependant constituer
une dérogation quelconque à son marché et pût le dispenser de la visite convenue.
Le 17 décembre 1751, le menuisier Antoine Rivière, qui réclame
neuf livres pour réparations faites aux soufflets en 1750 (sur l'ordre de Mouspanne),
reçoit seulement quatre livres dix sols pour d'autres réparations faites au
buffet, en 1751.Jacques Rappin en reçoit quatre également pour d'autres travaux
faits, dans le même temps au buffet. Le 9 janvier 1752, Saumet avise la fabrique
que l'orgue est " posé et parachevé " et demande une expertise amiable. Le facteur
Valtrin, de passage à Luxeuil est choisi par les fabricants, et l'abbé Jacques
François Clerc par Saumet. Les parties promettent " de se conformer à leur rapport
".
Le 14 janvier, le Chapitre, méfiant, fait transporter à l'Hôtel
de Ville une caisse remplie d'étain, plomb et étoffe provenant de l'ancien orgue,
de peur que le facteur ne l'emporte avant la réception de l'orgue.
Le 8 mars 1752, les deux experts ayant déposé leurs rapports,
mais n'ayant pu tomber d'accord, Saumet présente requête aux fins de nomination
d'un tiers expert. Sa requête tend également à obtenir le paiement du terme
dû à la réception de l'orgue, et à la restitution d'objets divers lui appartenant.
Le Chapitre suggère la nomination de Charles Riepp (alors à Dole), en qualité
de tiers-expert, mais il repousse le second chef de demande, prétendant qu(il
ne s'agit point d'objets appartenant à Saumet, mais des matériaux de l'ancien
orgue, qui deviendront sa propriété après réception seulement du nouvel instrument.
Le 19 mai 1752, les fabricants acceptent la nomination de
Riepp, sur proposition de Saumet. Riepp devra prêter serment, et les frais de
son expertise seront à la charge de la fabrique.
Le 14 juillet, Riepp dépose son rapport et soumet le facteur
à quelques retouches. Le 25 août, l'organiste de la paroisse, (qui est alors)
Gabriel Guenard, prétend sue ces retouches imposées par Riepp n'ont pas été
faites par le facteur. Le Chapitre décide alors de ne pas recevoir l'orgue dans
son état actuel " d'autant plus que le rapport de Riepp n'était pas point assermenté
". On le voit, la question se compliquait d'un incident de procédure.
Les choses se gâtent légèrement et Valtrin passe à l'ennemi.
Nous voulons dire par là qu'il devient favorable à Saumet et lui donne, le 25
août, un certificat duquel il résulte que les réparations ordonnées par Riepp
ont bien été effectuées (sous réserve toutefois d'achèvement de la Montre).
Saumet signifie à la Fabrique ce certificat ainsi qu'une sommation. La Fabrique
s "'incline, - le 24 septembre - et accepte une sorte de compromis : Saumet,
outre qu'il devra achever la Montre, " abandonne à la paroisse un Nazard, une
Doublette, une Tierce, une Voix Humaine, une flûte bouchée et ouverte ", mis
par lui dans le positif, au lieu des deux jeux qu'il était obligé de faire.
En outre, le Conseil de Fabrique s'engage à lui payer les cent livres qui lui
restent dues pour la réception de l'orgue étant entendu qu'il reste encore à
lui en payer cinq cents, et on lui remet le fameux coffre rangé à l'Hôtel de
Ville.
Le 26 septembre 1752, Saumet ayant tout terminé, reçoit mandement
des cents livres qui lui ont été promises le 24.
Le 17 novembre, le facteur, qui est " venu visiter et raccorder
l'orgue et rebrider les soufflets qui se trouveront zen avoir besoin ", reçoit
six livres pour ce travail, et mandement des cinq cents livres lui restant dues.
En janvier 1754, Saumet demande le solde de ses honoraires
: deux cents livres qui devaient lui être payées le premier janvier. La Fabrique
refuse, l'orgue étant depuis deux mois " hors d'état de service et totalement
dérangé par le défaut du sommier qui ne se trouve assorti que de papiers ",
et fait défense au receveur de payer tant que l'orgue ne sera pas remis en état.
Nouveau refus le 27 mai pour les mêmes motifs.
Enfin, le 23 novembre, le receveur est autorisé à payer quinze
livrez immédiatement, et le solde, le 10 avril 1755 seulement. Pourtant, aussitôt
après le deuxième refus, le facteur avait " rectifié " son sommier, car la Fabrique
se serait bien gardé de lui promettre son argent, s'il ne l'avait point fait,
et elle aurait exigé l'exécution intégrale du devis, comme elle était en droit
de le faire.
Ainsi, tout ce travail fut contesté et disputé bien des années.
Les réparations que Joseph Rabiny et François Calllinet y apportèrent en 1805
le prolongèrent encore une vingtaine d'années (cf devis de Joseph Rabiny et
François Callinet : documents).
En 1805 est nommé un nouvel organiste : Guignet. A cette
époque, ainsi qu'en témoigne un passage des archives , (1806, gages du souffleur
: 24 frs), l'air nécessaire à faire parler les tuyaux était aspiré et propulsé
par dez soufflets actionnés à main ou à pied.
Mais le 12 septembre 1827 la chute du clocher met l'orgue
hors d'usage. Rien ne subsiste de cet instrument, si ce n'est deux j'en
ai toujours l'une d'elles ici au Havre, qui réapparaît à
chaque changement de place de notre grenier. Ces quinze derniers jours, j'ai
essayé de les retrouver, ce qui ne m'est que trop partiellement accessible.
Dès que possible, avec de l'aide, j'y parviendrai. sculptures
de flammes , (que l'on met par dessus les tourelles), que M. Hartmann a retrouvées
tout à fait par hasard dans le fond des combles de l'église.
Deux autres œuvres de Saumet nous sont parvenues :à Pontarlier
(St Bénigne), la moitié de l'orgue achevé le 2 août 1759 par Saumet est conservée,
(le Buffet a été refait par Callinet) ; c'est le témoignage le plus complet
qui existe de ce facteur ainsi que le buffet de l'orgue de Maîche, qui est très
représentatif.
Par
suite donc, de l'écroulement du clocher de Saint-Martin, la tribune fut reconstruite
en 1832. Le 3 mars 1837, le Conseil de Fabrique projette la construction d'un
nouvel orgue (3ème), et fait appel à la firme Callinet de Rouffach, François
Callinet ayant déjà travaillé à Baume les Dames (cf 1805).
François Callinet, né à Ladoix, près de Beaune, en 1754, apprit le métier de facteur d'orgues à Dijon chez Joseph Rabiny (avec qui il vint à Baume en 1805). Il devait épouser sa fille un peu plus tard. Celle-ci lui donna deux fils : Joseph, né à Dijon (1796) et Ignace (appelé aussi Claude-Ignace), né à Rouffach dans le haut-Rhin, où le grand-père Joseph Rabiny avait transporté ses ateliers. En 1798, François Calllinet s'en était allé lui aussi, à Rouffach, rejoindre son beau-père. Il y mourut en 1820. Ses fils, facteurs d'orgue également lui succédèrent, et furent même associés de 1837 à 1843. Puis Joseph resta à Rouffach et y travailla pour son propre compte jusqu'à sa mort en 1857 et Ignace s'installa à Vesoul où il mourut en 1872. L'association dura donc sept ans. Rarement on a vu en facture d'orgue une fécondité aussi prodigieuse : trois douzaines d'orgues neufs au moins (voir document 4) sortirent des ateliers Callinet en cette période, sans parler des réparations, entretiens et accordages. A cette époque là, l'entreprise Callinet occupait trente ouvriers. Cette floraison commença par un certain nombre de grands et beaux instruments à deux et à trois claviers : Hirztbach, Soultzmatt, Eguisheim … etc.), pour aboutir au sommet de toute la production Callinet : Masevaux (détruit par un incendie en 1966). Suivirent un certain nombre d'instruments de un à trois claviers : Rorschwir, Raedersheim ( 1842 où les Callinet furent qualifiés de " meilleurs facteurs d'orgues de France ", Oltingue, Guémar … etc. A ces quelques orgues d'Alsace, il faut ajouter, construits à la même époque d'autres grands instruments à trois et quatre claviers à Lyon, Montbrison, Lons le Saunier, Riom, St Etienne, Macon, et Baume les Dames. et, sinon, La Madeleine de Besançon, conçu plus vaste que Masevaux et complété en 1870 par Verschneider.
C'est
en effet Joseph et Claude Ignace Callinet qui furent chargés en 1837 de la construction
du 3ème orgue de l'église Saint-Martin de Baume les Dames.
Pour ce faire ils demandent 15128 francs et assurent que
l'orgue sera prêt pour 1839. Mais la Fabrique, qui donnera 5000 francs demande
le concours de la municipalité au moi de mai 1839. Celle-ci accordera la somme
de 10 000 francs, et la réception de l'orgue a eu lieu le 8 août 1839. L'instrument
comprend alors quatre claviers et 39 jeux plus un pédalier de 27 notes et montre
encore tous les caractères de l'orgue français des deux siècles précédents du
moins quant à la distribution des plans et même en bien des points quant au
matériel. A cette époque donc, cet orgue présente, outre le plan du positif
de dos, celui du grand orgue occupant tout le premier étage du grand buffet
; un Récit à la française, au centre et en haut du grand meuble, ce qui justifie
l'une des rares grandes tourelles centrales des buffets des facteurs de Rouffach
; et même l'Echo, dans le soubassement au dessus des claviers, avec une mécanique
semblable à celle du positif (bascule, laye supérieure au sommier) ; la pédale
se trouve sur le côté certainement en raison de l'instabilité de la tribune.
Le
document donne la composition de 1839
Pour un instrument de cette importance, 4 claviers, une quarantaine
de jeux, le prix demandé paraît assez modique pour ne pas dire ridicule. Les
Callinet ont réalisé à la même époque des instruments beaucoup plus chers et
moins importants. Celui-ci aurait sûrement pu être construit à près de 25 000
francs ; Il a peut être et même sûrement
été conçu de façon un peu économique, mais cela ne setraduit pas de façon flagrante
par des insuffisances. D'autre part, relativement à la taille, le buffet est
quand même très réduit. (Celui-ci a son pareil à Macon, (Saone et Loire). Cet
instrument est dans son ensemble d'une construction simple, économique et robuste.
Il est nécessaire de s'attarder un peu sur cet orgue, ce
Callinet puiqu'il existe encore aujourd'hui. L'orgue romantique naîtra en 1841,
en l'église abbatiale de Saint-Denis en France, des mains d'Aristide Cavaillé-Coll.
L'orgue de Baume les Dames, reconstruit en 1839 est encore un orgue classique
et en a à cette époque les principales caractéristiques. L'orgue classique recherche
dans le tracé du plan la plus grande simplicité possible des lignes de traction.
Ce principe entraîne presque nécessairement la console en fenêtre et le positif
de dos. Grand Orgue et Positif en sont les deux éléments constitutifs essentiels.
Leur séparation dans l'espace est un élément de beauté sonore et visuelle de
premier ordre.L'harmonisation accentue leur différence de timbre : Grand Orgue
plutôt majestueux et Positif plutôt scintillant après
Auxonne, seul le Positif de Montbrison semble avoir eu une Fourniture 3rangs
; mais, ici, rien de scintillant. Le Récit classique tire son étymologie
du récitatif, de la cantate par exemple. En conséquence, il sert à chanter une
mélodie, accompagnée sur un autre clavier. Il en découle qu'il n'a pas besoin
de basses : il lui manque une ou deux octaves graves. Ses jeux sopnt, par définition
des jeux mélodiques : cornet, anches …
Le Récit de Baume contient parmi ces jeux solistes, la fameuse
Flûte Traversière des Callinet (8'). Au XVIIIème siècle , la flûte traversière
d'orchestre, détrônant la flûte à bec, est le succès du jour : l'orgue exploite
ce succès. Dom Bedos connaissait parfaitement ce jeu : " On ajoute encore quelquefois
un autre huit pieds dans les dessus, de l'étendue de deux octaves et demie seulement,
qu'on nomme Flûte de huit pieds, ou troisième huit pieds. " Jospeh Callinet
avait, en organologie un sens très sûr et l'esprit fort peu aventureux ; il
recherche la simplicité éprouvée et ne croit guère aux expérimentations hasardeuses.
Mais puiqu'il dispose sa Flûte Traversière parfaitement élaborée dès 1820 (Gueberschwihr),
c'es preuve qu'il l'a reçue telle quelle en legs de son père qui à Auxonne l'avait
disposée 3 fois. (Rabiny l'avait déjà placée 2 fois). Les Callinet sont tellement
fidèles à ce jeu, qu'il constitue, pour ainsi dire leur caractéristique, même
si d'autres facteurs les plagient en ce domaine. Il apparaît à peu près partout.
Déjà, Riepp (et son représentant
en Allemagne Weber) avait expérimenté une forme originale de Flûte
traversière en &è-" à Ottobeuren, au Positif de
l'orgue de l'épître : Flûte cônique en dessus au 3°
ut, dont les lèvres supérieures et inférieures sont retroussées
en forme de bouche humaine, le biseau étant monté avec une forte
inclinaison vers l'arrière du pied. Le seul témoin en l'état
subsiste au Récit de La Madeleine à Besançon, celui d'Ottobeuren
ayant été rectifié à biseau horizontal. A St Jean
de Losne,Rabiny transformait à sa façon le dessus cônique
de Boillot (encore conservé ainsi), alors qu'à Nuit St Georges,
le jeu de Boillot demeure en son état normal. Rien de cela à Baume
les Dames, les Flûtes sont des Principaux traités doux et sur le
timbre sourd, sans aucune originalité. ce sont les Lefebvre de Rouen
qui ont multiplié le 2) voir le 3° huit pieds dès la fin du
XVII ° Siècle.
Ce point particulier, un jeu commun à l'ensemble des ouvrages
Callinet appelle une autre remarque, plus générale, à savoir que tous les orgues
construits par ces facteurs sont à peu près semblables. En possession d' "une
doctrine solide , et ayant probablement peu de temps (ou n'ayant plus de temps),
de rédiger les devis (long travail de copie en plusieurs exemplaires), ils firent
imprimer des devis-modèles qu'ils utilisèrent dès fin 1837 ou début 1838. Il
suffisait de remplir les blencs laissés dans le texte.
Ceci témoigne d'une certaine cadence de production mais aussi d'une stupéfiante
sûreté du métier, dans les compositions, les plans et les buffets et aussi d'une
connaissance complète des milles petits détails et secrets du métier, d'un style
personnel presque achevé, tout cela très tôt dans la carrière des Callinet.
Cette technique permettait, dans l'égalisation, juste assez
de corrections pour que l'adaptation soit bonne. Mais en fait, on trouve les
mêmes tuyaux partout (sorte de construction en série, en son genre). Cette
simplification amène à ne plus utiliser de cheminées aux
bourdons, plus de tuyaux côniques, pentes de biseuax uniformes, pointes
d'anches les plus étroites posssible (dès Auxonne en 1789). Les
tuyaux de bois ouverts et bouchés ne se présentent que sur une
unique progression.
Mais, bien sûr, si les orgues sont tout de même différents,
ce n'est pas tellement du fait de leur construction, mais plutôt de leur situation
ou des circonstances de cette construction. C'est finalement le local qui fait
l'orgue. Or, il faut admettre que dans la maison Callinet, on cadrait bien les
orgues ; et même quand par exemple un orgue était situé trop haut, comme celui
de Saint-Martin, on savait très bien donner le " tonus " nécessaire pour que
l'instrument sonne, ou bien, quand il y avait beaucoup d'acoustique, les Callinet
savaient bien " retenir " leurs instruments, et ceux(ci étaient finalement très
bien adaptés. Ces questions semblaient pratiquement évidentes pour les deux
frères.
L'orgue
de l'église St Martin qui existe aujourd'hui est encore l'instrument des Callinet
malgré les travaux successifs de Jacquot (1911), Bossier (1921-1932), et Hartmann
(1960-67).
Le 4 avril 1880, en effet, il est noté dans les cahiers de
la Fabrique qu'une " restauration de l'orgue, qui n'a eu aucune réparation depuis
son installation en 1839, est nécessaire. La maison Callinet de Rouffach, qui
l'a construit s'est installée à Vesoul depuis la guerre. Elle a établi un devis
de 5150 Frs qui est adopté.
" Après l'abbé Dornier, c'est alors Léon Bernard qui est
organiste. Mais cette restauration soulève des difficultés : il est fait appel
à Louis-François Callinet, qui poursuit le travail de son père à Vesoul (au
moins jusqu'en 1888). Mais d'autre part, Verschneider, continuateur de Louis
Callinet de Paris, propose dans le goût du moment, en plus du relevage, de rendre
le Récit expressif, de faire une console neuve séparée, et de purger le Grand
Orgue de quelques sonorités désuètes … les mixtures, et même de retirer le Positif
de sa situation traditionnelle. Il propose en quelque sorte une modernisation.
Il faut remarquer que, si cet instrument, bien que construit en 1839, est de
type classique, c'est justement parce qu'il est dans une ville de province.
Il y a bien des chances que, construit à la même époque, à Paris, il aurait
été plus proche de l'orgue romantique. Le cousin
Louis Callinet, à Paris, avec Vershneider et Barker, dès 1835,
était, lui, très moderne.
Ce " décalage " se retrouve à propos de cette restauration
de 1880.(?
à vérifier).
En effet, l'organiste menace de donner sa démission s'il est porté
atteinte au Positif et si l'on touche à la Fourniture du Grand Orgue. Cette
défense du Positif de dos à
cette époque est exceptionnelle ! Il faut attendre Schweitzer poiur qu'une
telle attitude soit d'actualité Enfin,
il accepte que l'on dispose le Récit dans une boîte expressive avec une octave
en plus, et que l'on change les claviers qui seront à notes naturelles blanches
au lieu de noir (et de chêne au lieu de tilleul). C'est ainsi que le Récit est
sorti de la situation où il dominait si heureusement l'instrument pour être
relégué dans un coin de la tribune ; on le complète de 10 notes, soit du 1er
sol, sur un sommier neuf chromatique. La composition générale de l'instrument
reste alors inchangée, seule la Voix Humaine est refaite. (pour la composition
exacte, cf documents).
Mais tout ceci n'est finalement réalisé qu'en 1881 par Callinet.
Ces travaux sont payés par des ventes de titres de la Fabrique et par une aide
de la municipalité (282,5 Frs).
A la date du 3 janvier 1904, est inscrite sur le registre
du conseil de la Fabrique la mort de l'organiste Léon Bernard. " On choisit
pour lui succéder Jules Bonnet, qui a déjà tenu le petit orgue de chœur
première nouvelle ! Harmonium ?,
au traitement de 500 Frs, mais avec obligation d'aller une fois par semaine,
pendant un an, prendre à Besançon des leçons d'orgue ". Mais, peut-être insuffisamment
qualifié ou peu intéressé, celui-ci démissionne le 24 janvier 1904. Il est remplacé
par " Léon Pauthier, rentier ".
En 1911, une grande sécheresse occasionne une restauration
pour défaut d'alimentation en vent, après six mois de mise hors service. Pompe
et réservoir d'airs (parois souples en peau de mouton), ont été endommagés.
Théodore Jacquot signe sur la façade à cette date, en mentionnant une réharmonisation.Théodore
Jacquot : je pense qu'on lui doit d'avoir terriblement remonté toutes
les bouches - comme il se flatait de la faire d'ailleurs - Or, si j'avais seulement
corrigé cette bévue, sans céder au gigantisme où
le Père Trouillot m'a poussé,
le Callinet était intégralement récupérable dans
son état quasiment original ! Avec Michel Chapuis qui me le présentait
en 1956, nous en avions convenu ...L'orgue fonctionne à nouveau pour
Noël 1911.
Le 14 juillet 1920, un incendie du clocher faillit être fatal
à l'orgue (origine : feu d'artifice).
De nouvelles cloches doivent être installées et l'orgue endommagé,
doit subir quelques réparations. On fait alors appel à Jules Bossier, spécialiste
à Dijon, qui dès le 1er août envoie son expertise à la Mairie de Baume (manque
aux archives).
Les travaux sont exécutés en 1921 : soufflets et porte-vents
sont remis à neuf, le soufflet, déchargé après l'incendie est rechargé à nouveau,
ce qui occasionne un changement de pression et implique une réharmonisation
et un accord général ; des soupapes décollées dans le sommier sont changées,
de même que des ressorts et des languettes, rouillées par l'humidité venant
du soufflert. Remis ainsi en bon état de fonctionnement, l'orgue donne pleine
satisfaction à M. le curé d'Orival, alors responsable à Saint- Martin. Néanmoins,
je ne crois pas Bossier assez courageux pour monter toutes les bouches ! Mais
plus évident de Théodore Jacquot dès 1912.
Mais, comme cela s'est déjà produit, le règlement
de la facture se fera attendre.
Le 11 avril 1922, Bossier réclame son dû (environ 2000 Frs)
ce à quoi le maire répond, le 14 avril 1922 qu'il refuse de prendre en charge
ces travaux et que ceux-ci sont estimés par l'architecte Abram à 500 Frs.
C'est alors Abram, qui le 21 juin 1922, reçoit une lettre
de Bossier. Il y mentionne qu'il réclame le règlement de ses travaux depuis
1 an, proteste de son honnêteté et explique que ce qu'il a fait n'est pas un
travail de " maçonnerie " ! ! … Il indique ensuite les travaux effectués et
les différents frais : les ouvriers sont payés 5 Frs de l'heure, plus les déplacements,
et ont travaillé 14 jours à raison de 10 heures par jour et parfois plus, et
l'hôtel est revenu à 30 Frs. Autre détail matériel, la quantité de peu de mouton,
estimée à une valeur de 18 Frs à l'expertise est revenue deux fois plus chère,
il en a fallu une grande quantité..
Enfin, Bossier termine cette lettre en faisant état de sa
nombreuse clientèle et en indiquant que ses prix sont inférieurs à ceux de ses
confrères.
Mais cette lettre " bien sentie " ne reçoit pas d'écho et
le 9 juin 1923 le facteur de Dijon doit à nouveau formuler sa demande à la mairie.
Il cite l'expertise envoyée par lui le 1er août 1920 et joint sa facture, sans
détails : 2200 Frs.
C'est finalement le curé de Baume, qui avance en quelque
sorte la somme de 2100 Frs à Bossier. Et, le 29 octobre 1924, le préfet du Doubs,
approuve la décision du conseil municipal d'ouvrir un crédit 2100 Frs sur le
budget de 1924 afin de rembourser M. le Curé.
Quelques réparations sont à nouveau effectuées en 1931 et,
de mai à novembre 1932, Bossier effectue une " révision générale et restauration
complète " pour 15700 Frs (payés par souscription). En juillet
1932 est installée la soufflerie électrique.
La mécanique de Callinet est conservée, mais par contre, la Flûte
8 de l'Echo est accordée en Voix Céleste et la Trompette d'Echo est purement
et simplement enlevée.
Le 13 novembre 1932, un récital de René Nizan clôture le
travail de ce facteur.Renée
- C'est une femme très honorée à cette époque, morte
prématurément en 1934.
Remarque : avant de franchir les années, il faut noter que
cette Trompette d'Echo, enlevée par Bossier existe toujours : elle est à Pesmes.
Sur le 2ème do, quand on enlève le pied, on trouve l'inscription " Echo Baume
", marquée à la plume comme tous les premiers tuyaux de Callinet. D'autre part,
il y a des tuyaux coudés, alors que le buffet est trop grand, à Baume ces tuyaux
" tomberaient juste ", sous la Grand Orgue.
On trouve cette même Trompette d'Echo, sur le même sommier
à Saumur en Auxois.
A propos de Bossier il faut noter qu'il est loin d'être apprécié
par certains spécialistes, tels le facteur Philippe Hartmann, ou Jacques gardien,
qui en parle ainsi : " On ne peut que regretter que la facture d'orgue, qui
a été élevée et qui est maintenue par certains au rang des arts les plus beaux,
ne soit pas plus sévèrement réglementée et ne possède pas son statut propre
qui lui permettrait de désavouer ceux qui ne sont pas dignes d'exercer la magnifique
mission qui leur est échue (…) Bornons-nous … à espérer que leurs ravages seront
de plus en plus rares. L'abbé Trouillot,
enfant a tenu le clavier pour Jules Bossier, mais avec la recommandation de
son Curé de le surveiller discrètement pour l'empêcher d'emmener
des tuyaux dans ses valises !
Philippe Hartmann et la dernière restauration.
En 1958, l'abbé Trouillot, constatant l'état de pourriture
que l'instrument offre, met à l'étude sa réfection. Les soins routiniers d'accord
et de nettoyage ne peuvent plus suffire.
L'abbé Trouillot, en quelque sorte sous l'influence du chanoine
Mathias de Strasbourg, veut un orgue moderne ; en particulier il voudrait pouvoir
diriger une chorale en étant au clavier, et pour cela pense faire installer
une console séparée. Celle-ci est vraiment importante pour lui et il a pour
ainsi dire déjà passé acte avec un facteur, Roethinger, qui à cette époque se
plie au désir du client : il prévoit de faire une belle console à la place du
Positif, et de faire un orgue électrique d'environ 32, 33 jeux, sur deux claviers.
Or, à ce moment-là, l'abbé Gabet (de Besançon), mécontent du travail de Roethinger
à l'église Sainte-Jeanne d'Arc à Besançon, est bien décidé à ne pas laisser
ce facteur travailler àç Baume. Il envoie alors plusieurs facteurs sur place
: Muller, Danion (qui a le malheur d'oublier son dossier sur le banc : chose
" impardonnable ") puis Kern (refusé car il est protestant) et enfin Hartmann
qui selon ses propres paroles : 'n'a pas été pris au sérieux ", ce qui fit son
succès. Il raconte ainsi l'accueil de l'abbé Trouillot : " Vous, mon petit …
mais enfin, vous n'y pensez pas, … c'est une affaire importante … enfin, si
vous voulez, voilà la clé puis vous m'enverrez votre devis ". Hartmann prend
alors différentes notes dont les documents (9, 10, 11 et 12 sont des copies).
Puis, une semaine après, ayant encore besoin de quelques
renseignements supplémentaires, Hartmann rencontre à nouveau l'abbé Trouillot.
Celui-ci ne le reconnaît pas et s'étonne de sa venue " Vous, petit … qu'est-ce
que vous venez faire là … pour votre orgue ? … vous venez pour un mariage ?
… - non, je voulais quelques renseignements … - Ah, c'est vous… " et l'abbé
Trouillot lui redonna la clé permettant d'accéder à l'orgue . Et c'est ainsi
que le facteur jurassien (Rainans) fit " la conquête du curé ".
Trois ou quatre mois après, l'abbé Trouillot, face à de nombreux
avis contraires abandonne son projet de console séparée et prend en considération
celui de Hartmann. D'autre part, l'abbé Gabet accorde lui aussi sa confiance,
et enfin, le projet d'Hartmann contient des éléments propres à plaire à l'abbé
Trouillot : il présente une console qui passe pour moderne, il y a des appels
d'anches, un grand Récit, … etc. Le facteur avoue avoir fait une foule de concessions,
qui n'étaient pas forcément à son honneur à l'époque, pour " sauver " la situation.
Pour clore ces discussions le Père Trouillot fait signer
à Hartmann une petite déclaration dans laquelle ce dernier reconnaît que l'abbé
Trouillot n'est pas responsable de cette console en fenêtre et que l'on ne peut
pas le lui reprocher .
Les travaux peuvent donc commencer en 1963 mais quelques
difficultés de logement pour des ouvriers causent encore quelques retards. Deux
équipes se succèdent, l'une menée par Saltz, l'autre par Michot.
En fait c'est Jean Deloye et son épouse qui feront le
gros du montage. Terminé par Bernard Maitret (qui deviendra le chef d'atelier
de René Chauvin pendant près de trente ans à Dax.
Les documents 6, 7, 8 donnent l'état précis dans lequel
se trouve l'orgue lorsque Hartmann prend en charge sa restauration. Si extérieurement
l'instrument semble assez bien conservé, en fait, les vers ont atteint toutes
les pièces de sapin, les pieds de la moitié des jeux de métal sont lépreux,
la mécanique est alourdie par l'excès de pression.
De chaque côté du buffet se trouvent deux grands pans en
bois, pas très beaux. Réalisés en sapin, alors que le buffet est en chêne, ces
deux boiseries sont peintes en triompe l'œil avec la réplique des corniches
et des oves de la corniche que l'on trouve sous l(entablement. Réalisées probablement
sur place, sans effort de sculpture ces boiseries ont du être rajoutées vers
1880, pour masquer une nouvelle " organisation de l'orgue (soufflerie, déplacement
du Récit … ?) ou bien l'état du fond de la tribune.
On trouve cette même disposition de grandes boiseries à peu
près dans les mêmes proportions à Mouthe où, curieusement, elles ne cachent
rien. Installées après celles de Baume, elles sont sculptées et ont peut-être
été ajoutées sur le modèle de l'orgue de Baume, pour étoffer un peu le buffet
de cet orgue moins important (un clavier et pédale).
Hartmann ne conserve pas ces boiseries en place à Saint-Martin.
Elles sont démontées et entreposées dans les combles, en très mauvais état.
Avant de débuter réellement le travail, le père Trouillot
demande à Hartmann de prendre des garanties, avec un autre facteur d'orgue.
Kern est choisi pour cela mais finalement ne fera pour ainsi dire, rien.
C'est Mr Kern qui exigera la réfection de tous
les tuyaux de bois, et recommandera le retour de la Pédale au centre,
sans se douter de la faiblesse de la tribune.
Cette restauration peut donc démarrer et durera jusqu'en
1967. Hartmann cherche à réaliser un compromis entre la transformation de l'orgue
en instrument moderne et le respect de l'ensemble des Callinet, aidé pour cela
par les recherches et les publications de P. Meyer-Siat sur les œuvres des Callinet.
Le Récit, déplacé en
1881 par
Bossier derrière la boiserie, retrouve
sa place, dans la tourelle centrale, (où subsistent des traces de l'ancien sommier),
et à peu près avec son étendue d'origine. Hartmann n'ayant pas assez d'éléments
(une partie de l'abrégé) pour reconstituer le Récit d'origine en " copie " un
autre du même type, celui de Gray dont le sommier presque intact est de Callinet.
Deux rangs de cornets qui manquaient, sont rajoutés et la 4' transformé en flûte
à fuseau (erreur à son avis). Car ce jeux n'est
en valeur qu'en 8 et
plutôt à l'Echo - voir Dom Bédos.
Tel qu'il est construit, ce récit présente un handicap : l'alimentation
en vent vient de beaucoup trop loin, et finalement l'attaque est mauvaise. Y
ai-je porté remède depuis, en 1990 ?
Pour ajouter des éléments modernes sans déformer l'instrument
des Callinet, Hartmann double le Récit d'une grande " boîte " de Bombarde. Il
apporte ainsi un élément qui sert à la fois de Récit moderne et de complément
de pédale. Ce 6ème plan sonore, indépendant, comporte des jeux qui permettent
de jouer la musique romantique (Unda Maris = Voix céleste retenue), moderne
(une batterie d'anches complète : 16' 8' 4'), et baroque (Terziane = cymbale
+ tierce), et fait un peu l'originalité de l'instrument. Cette
solution fut adoptée par Victor Gonzalez à St Nicolas des Champs
en 1932 (Le dessus de Clicquot demeurant en place)
En ce qui concerne l'Echo, dans le souci de donner encore
à l'instrument quelques possibilités supplémentaires, notamment des jeux de
détail, Hartmann ajoute un jeu de 1' Sifflet, qui est une petite mixture et
le jeu de voix humaine, qui devrait être normalement au Grand Orgue. Ces deux
jeux servent à jouer la musique baroque et ne sont normalement pas dans un clavier
expressif. L'Echo français classique n'est pas expressif, Hartmann ménage dans
le buffet des ouvertures, des jalousies, pour ouvrir l'Echo.
Il ajoute encore à cet Echo un Cornet, ce qui est une autre
" entorse " à l'esprit Callinet. Déjà,
en effet, François-Henri Clicquot ne maintenait plus le cornet à
ce clavier dans bien des cas, comme St Nicolas des Champs.
Le pédalier comporte 10 jeux ; (Aux sept jeux de Callinet
Hartmann en a ajouté trois, un 16' ouvert, une mixture et une anche courte de
32', extrêmement grave (rarissime).
L'harmonisation
est à pieds fermés et les bouches ont été un peu baissées afin d'obtenir un
orgue plus " retenu " et surtout pour lui donner de la netteté et
en conformité à la technique Callinet !.
La tuyauterie en bois a été entièrement refaite, les tuyaux
de métal abîmés, refaits en conservant les parties des corps valables. Les jeux
neufs sont en métal martelé. La mécanique est à traction suspendue. Les claviers
sont établis aux normes modernes.
Remarque : un facteur allemand : Ulrich Wallemayer, aide
Hartmann pour l'harmonisation du Positif et fait entre autre la Montre de 4'.
Hartmann en dit ceci : " j'ai beaucoup apprécié son jeu de Montre. C'est chaud,
c'est bien, tout à fait dans le style Callinet ". La
plupart des autres jeux du Positif ont conservé la "pate" d'Alain
Sals qu'il avait entrepris d'harmoniser alrs que la mécanique de console
n'était pas encore exécutée !
Pour l'aménagement de la tribune, le buffet principal
est reculé de 75 cm . Mais la traction et les plans de l'orgue de Callinet sont
conservés).
Vers les ¾ du travail, la lenteur de la mairie à faire des
travaux de remise en état du mur (derrière les boiseries), retarde le montage
de l'orgue. Hartmann demande aussi que la tribune soir consolidée, mais en vain.
Il installe la pédale derrière, au centre. Mais, à une dizaine de jours de l'inauguration,
tous les tuyaux de bois mis le long du mur, énormes tuyaux de pédale, se mettent
à perdre du vent au pied et deviennent inaccordables ; c'est la pédale qui descend,
la tribune avec, et les tuyaux restent pendus après le mur. Après vérification
de cette situation, l'équipe Jean Deloye en
tête s'organise rapidement pour faire
passer des poutrelles de fer sous les sommiers afin de faire porter le tout
sur les côtés de la tribune. Tout cela restera instable plusieurs années, et
sous tension.au gré des fluctuations
hygrométriques (Callinet avait du connaître
la même situation et c'est ainsi que la pédale s'était retrouvée poussée sur
le côté).
L'orgue reste ainsi longtemps instable et nécessite
continuellement des réajustements.
Finalement, après une lettre de Hartmann, disant qu'il ne
peut pas répondre d'un accident possible, la mairie prend la situation en considération.
Elle demande au facteur d'envisager la pose de deux piles en dessous de la tribune.
D'accord celui-ci propose d'être là pour ce travail, afin d'enlever les cales
qu'il avait mises, de façon à ce que le plan de la tribune soit monté à la bonne
hauteur.avec un devis forfaitaire qui ne recevra
pas de réponse.
Mais cinq ou six mois après, Hartmann apprend que les travaux ont été
effectués, la tribune est montée de six centimètres ! Personne ne l'avait prévenu
; les cales n'ont pas été enlevées et bien sûr il est appelé pour réparer les
" dégâts ". Cette intervention tardive ne peut malheureusement résoudre tous
les problèmes et encore actuellement, l'orgue n'est toujours pas réglé : la
pédale est trop haute, le tirage est défectueux…les
registres de Bombarde ne sont plus en bonne position de fonctionnement.
La tribune n'est pas encore bien calée. Le Grand Orgue , le Récit et l'Echo,
eux, sont stables, grâce à une charpente en métal, ceci contrairement au Positif
et à la Pédale qui sont " solidaires " de l'instabilité de la tribune.
A
propos de l'ensemble de l'instrument, l'opinion de Philippe Hartmann est que
cet orgue est trop compliqué, trop raffiné. " C'est peut être l'instrument le
plus achevé que nous ayons construit ; mais tout compte fait, c'est trop compliqué
… c'est du luxe . " " Il faut être facteur d'orgue pour se régaler de ça. "
notamment pour les tirants de jeux à
la console, munis d'embiellages très compliqués que Mr Michot
a conçus et réalisés(…) " Quand j'ai repensé cet
orgue-là, je lui ai donné beaucoup de finesse, de petites intentions,… maintenant
je trouverais cela superflu, mais à l'époque … chaque jeu différencié, tout
ce qu'on a fait comme jeux neufs, c'es très bien calculé ; toutes ces petites
finesses là, ne passent pas la balustrade, je me suis fait plaisir, c'est intéressant.
Ce n'est pas tellement valable, en tout cas dans un Callinet, c'est parfaitement
déplacé. " (…)
Mais ces auto-critiques peuvent-elles vraiment être des reproches
?
Si le ton de Philippe Hartmann est un peu amer c'est en partie
à cause des soucis, des complications, des déboires que lui a causé cet instrument.
Comme cela est déjà arrivé à plusieurs avant lui, le règlement
de l'instrument ne s'est pas fait sans difficulté. Pour des raisons plus ou
moins personnelles entre la mairie et le curé, la mairie n'a pas participé aux
frais. puis vexés de n'avoir pas
été sollicités la mairie a réclamé une part
des travaux (après l'inauguration) ce qui a fait l'objet de la Bombarde.
Résultat, le facteur estime que cet instrument lui est revenu à peu près
3 fois plus cher que ce qu'il a reçu . " Ca a été le plus grand déboire de mon
existence. Quand on me fait parler de Baume les Dames, j'en parle toujours comme
une bizarrerie qui m'a un peu débordé (…) "
Inconvénients pour le résultat sonore.
A l'église Saint-Martin de Baume les Dames,
3 données influent, dans un mauvais sens, sur le résultat sonore de l'instrument,
3 causes extérieures à l'orgue lui-même.
Tout d'abord, la tribune est située trop
haute, au dessus de la porte d'entrée. Elle est ainsi depuis sa reconstruction
après l'écroulement du clocher ? Or, après la Révolution, les architectes ont
souvent voulu faire des péristyles à la grecque, c'est à dire continuer au fond
de l'église les piles et les travées latérales, (ce qui ne se faisait pas à
la " haute époque de l'instrument) ; Ces colonnades étant très hautes à Saint-Martin,
la tribune s'est trouvée située très haute. On retrouve le même style de construction
et ce même handicap à Macon.
D'autre part le revêtement des murs est mauvais. Il
a probablement été refait 2 ou 3 fois, mais sans ôter la couche précédente.
Ainsi ces couches d'enduit successives donnent des murs qui " sonnent creux
" et qui neutralisent l'acoustique.Cela sonne
"carton"
Une bonne acoustique nécessite des murs qui ne vibrent
pas et la pierre a cette qualité de réfléchir ; Mais lorsque les murs se mettent
à vibrer, ils ne réfléchissent plus les sons.J'ai
testé ce phénomène à St Claude de Besançon
où le décapage produisit un miracle . (Orgue Schwenkedel)
Pour une meilleure acoustique à Saint-Martin, il serait
nécessaire d'ôter les couches d'enduit successives et de réaliser un jointement
au ciment (comme c'est d'ailleurs réalisé dans le fond de l'église. cet orgue
serait alors plus " coloré ".
Le troisième handicap est plutôt une question climatique.
Quand on chauffe l'église, il y a un important retour d'air froid au centre
de la tribune.
Le Positif se trouve alors sous une douche d'air descendant
froid, alors que le restant de l'orgue au contraire, " baigne " dans l'air chaud
; (surtout dans le haut).
On arrive ainsi à des différences très importantes
entre le Récit (en haut) où la température monte à peu près de 30° et le retour
d'air froid qie est aux alentours de 5, 6°.
A ce moment, le Positif détonne, d'un quart de ton
et ce décalage fait que dès que le chauffage fonctionne, il n'est plus question
de jouer avec les quatre claviers ; Il faut soit abandonner le Positif, soit
ne jouer qu'avec lui…
Ce " défaut " est à peu près incorrigible. Il est possible
d'y palier un peu, en trichant avec les souffleries, comme il y a un réservoir
par clavier, en lestant un peu plus la soufflerie du Positif, on fait monter
un peu le ton, mais alors, le Positif risque d'octavier.
Conclusion
" Espérons enfin, en conclusion de cette étude, que des jours meilleurs et des
finances paroissiales prospères permettront un jour d'apporter à l'orgue de
Baume les Dames les améliorations et réfections qui lui sont indispensables,
et qui en feraient un bien bel instrument."
Jacques Gardien terminait ainsi son propos sur
l'orgue de Saint-Martin de Baume les Dames en 1939. La récente restauration
de Philippe Hartmann, (dont le Festival de Besançon " marquera " le 10ème anniversaire
cette année par un récital de M. André Isoir) a-t-elle réalisé ce souhait ?
Les avis sont certainement partagés. Mais en tout cas, l'organiste actuel, Jean-Paul
Schiffmann est très satisfait de son instrument.
En effet, la discussion reste engagée entre les partisans
d'une conservation intégrale des instruments anciens et ceux, moins puristes,
qui ne refusent pas l'ajout de possibilités nouvelles. L'orgue
de Baume les Dames satisfait ces derniers, ajoutant à l'instrument des frères
Callinet de nouveaux timbres de nouvelles possibilités d'expression.
Ce travail m'a permis de mieux connaître un instrument et de faire une synthèse des éléments existants à son sujet.
Documents
I POSITIF 54 notes
Bourdon 8
Flûte 4 - (au 3 C) 8
Salicional (au 2 C) 8
Montre 4
Flûte (au 3 C) 4
Doublette 2
Basson-Chalumeau 8 B-D
Trompette 8
II GRAND-ORGUE 54 notes
Bourdon 16
Montre 8
Bourdon 8
Gambe 8
Prestant 4
Nazard 2 2/3
Doublette 2
Sifflet 1
Cornet V rgs (3 C)
Fourniture 5 rgs
Trompette 8 B-D
Clairon 4
III RECIT 37 notes
Flûte 8
Bourdon 8
Salicional 8
Flûte 4
Cornet III rgs (au 3 C)
Hautbois 8
Voix Humaine 8
IV ECHO 42 notes
Flûte 8
Bourdon 8
Flûte 4
Trompette 8
PEDALE 18 notes
Bourdon 16
Flûte 8
Violoncelle 8
Flûte 4
Ophycléide 16
Trompette 8
Clairon 4
Pas de tirasses, ni d'appels 1 tremblant doux général 1 tremblant fort
à
propos de Salicional, il n'y a de français que les gambes(etc.) cylindriques,
les jeux côniques n'étant réalisés que par les germaniques.
Daublaine-Callinet introduisit le Dulciana cônique que Cavaillé-Coll
n'adopta que rarement en 4 pieds seulement. J'ai toujours été
tenté par les jeux côniques,
un peu nostalgiques et qui ont une attaque meilleure, et ici, je n'ai pas réalisé
le Salicional français, mais... est-ce par attavisme?
Déjà, chez Olivier Bernard, et à Vaux sur Poligny, j'ai
tenté (en vain !) de retrouver l'admirable jeu de Sthier du Récit
de Dole, tel qu'il s'est fait en Alsace "francophone" sous le nom
de Cor de Daim, et même Cor des Alpes
(voir orgue de choeur de Dammerie (Marne) qui viendrait d'une communauté
de Besançon).